Mathilde Poli est experte des questions de genre et égalité sociale. Avec son cabinet D-CODE, elle accompagne les structures et les personnes dans leurs projets, notamment pour identifier et réduire les inégalités et toute forme de discrimination et de violence. Conférencière, elle apporte des clés pour déconstruire des stéréotypes encore trop ancrés dans nos sociétés.
Dans cette préface du projet 52 Femmes Entrepreneuses, Mathilde a su trouver les mots justes pour montrer à quel point ce projet incroyable est précieux pour toutes les jeunes filles, femmes. Un immense merci à elle pour son soutien depuis le début de ce projet.
Métier interdit aux femmes
Vous pouvez parcourir les dédales de votre vie scolaire et professionnelle sans risquer de tomber sur cet écriteau. Sans cocorico, la dernière levée juridique d’une telle interdiction date de 2014 en France (1).
Nous restons encouragé·es et découragé·es à de nombreuses expériences de vie en fonction de notre genre. Grandissant dans des couloirs de verre, heureusement de plus en plus poreux, les filles et les garçons ne pratiquent pas les mêmes sports ni les mêmes activités culturelles, ne se nourrissent pas de la même façon, ne développent pas les mêmes rapports relationnels et émotionnels aux autres. Si il vous vient à l’esprit que cela ne vaut pas pour toutes les filles et pour tous les garçons, vous avez raison. C’est bien parce que ces couloirs, ces chemins pré-tracés, sont le résultat de construits sociaux et non de prédéterminations biologiques que les filles et les garçons peuvent avoir les mêmes appétences et développer les mêmes capacités. La binarité et la complémentarité des sexes, que l’on ne retrouve pas de façon stricte dans la nature humaine et encore moins dans le reste de la nature animale (2), est très pratique pour instituer une organisation sociale rigide et rangée dans laquelle les hommes apprennent à être dominants et à accéder aux lieux de pouvoir.
Nous pourrions décortiquer ensemble les chiffres des derniers rapports institutionnels et associatifs (3) qui éclairent de façon concordante les mécanismes et les effets normatifs du genre sur les rôles sociaux et professionnels investis par les femmes et les hommes ; ce qui explique que si je passe un coup de fil dans un garage pour l’entretien de mon véhicule, j’ai plus de chance de tomber sur une secrétaire en charge de la prise de mon rendez-vous et sur un mécanicien pour la suite. Il me semble plus pertinent et expérientiel d’inviter à regarder nos propres parcours au prisme du genre. Pour ma part j’ai été et je me suis socialisée très fille. J’ai fait du patinage artistique, de la GRS, de la danse moderne, de la natation synchronisée. Ma Maman m’a transmis son goût inconditionnel pour la lecture et a tenté d’en faire de même avec la couture (sans succès, ce que je regrette aujourd’hui). J’ai passé une partie de mes études entourée de filles, dans des amphithéâtres de psycho. Et je ne vous raconte même pas les deux dernières années de Master en études féministes. Ces expériences de vie résultent de désirs et de choix personnels mais sont clairement teintés d’influences de mon genre d’assignation (celui dans lequel j’ai été reconnue et éduquée). Elles m’ont permis de développer des compétences relationnelles, émotionnelles, rédactionnelles, analytiques. C’est adulte que j’ai davantage goûté aux activités socialement attribuées aux hommes : la musculation, le bricolage, la moto et l’entreprenariat. Davantage centrées sur la force, la maîtrise de la puissance et de la technique, les expériences de vie masculines revêtent un caractère galvanisant. C’est comme sortir du cinéma après avoir vu Wonder Woman : c’est donc ça cette sensation avec laquelle les petits garçons ont pu grandir ?
La question des rôles modèles est d’ailleurs fondamentale. Nous ne pouvons devenir ce que nous ne connaissons pas, ce qui ne nous ressemble pas. Les figures qui font briller les yeux – les super héroïnes, les championnes olympiques, les scientifiques et les artistes renommées – jouent un rôle d’inspiration et de construction des imaginaires importants. Elles sont aussi tout à fait intimidantes. Elles portent en elles un caractère exceptionnel, inimitable, inatteignable. Nous manquons de modèles féminins de proximité qui nous inspirent à expérimenter hors de nos univers dédiés. 52 femmes entrepreneuses c’est un chœur de femmes, recueilli et assemblé par Diane, qui chante en harmonie une inspiration à. Elles ne nous disent pas ce que l’on doit faire mais ouvrent la voie à ce que l’on peut faire… puisqu’elles l’ont fait, depuis leurs diverses vies d’humaine et pas de demi-déesse grecque. Ce livre ne créera pas d’envie artificielle à devenir entrepreneuse, encore moins d’injonction, mais pourra la révéler et accompagner le nécessaire ancrage d’un sentiment sincère de légitimité. En tant que femmes, nous avons souvent besoin d’apprendre sur le tard à nous autoriser à nous tromper, à être ambitieuse, à expérimenter sans avoir parfaitement fait le tour du sujet (deux fois juste pour être sûre). Mais puisque l’on nous a privées – épargnées ? – des codes et injonctions virilistes, de dominance, nous avons d’autant plus la possibilité de porter d’autres valeurs et de proposer des réponses plus respectueuses des autres, de la vie, de la planète. Il ne s’agit pas tant de responsabilités supplémentaires (4) que d’une question d’outillage, le plus souvent, différent.
Si il permet d’accéder à une certaine forme de pouvoir de décision, d’autodétermination et d’émancipation hiérarchique, l’entreprenariat ne protège malheureusement pas du sexisme inhérent au fonctionnement de notre société. Les voix puissantes de nos compagnes, camarades, sœurs de ce livre nous partagent, rappellent et dénoncent aussi les freins qu’elles ont rencontrées parce que femmes. La sororité, voilà une solution bien cachée derrière les prétendus crêpages de chignon et autres dévalorisations au féminin. Ce chœur de 52 femmes, parcours, récits de vie nous fait sentir fortes et entourées. De quoi auriez-vous besoin pour les rejoindre ?
- Pour les sous-marinières de l’armée
- Coucou aux escargots hermaprhodites et aux mérous changeuses de sexe
- De l’INSEE, du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, des ministères, de la Défense des droits, la Fondation des femmes pour ne citer qu’eux
- « La femme sera l’avenir de l’homme. Non en fait on a réfléchi qu’il se démerde », détournement féministe