Morgane Stankiewiez, autrice et éditrice
Chaque semaine, je vais à la rencontre d’une nouvelle femme entrepreneuse. Et parfois, je m’autorise à laisser le hasard créer de belles rencontres.
C’est en me renseignant sur le monde de l’édition qu’une amie chère à mon coeur m’a parlé de Morgane, éditrice et fondatrice de la maison Noir d’Absinthe. Celle-ci a en effet créé une série de vidéos pour accompagner les auteurs dans leurs projets d’édition.
Emballée par son sens de la pédagogie, et la générosité de ses partages, j’ai eu envie de l’inviter à faire partie de mes 52 femmes entrepreneuses.
En rencontrant Morgane, je suis complètement sortie de ma zone de confort pour découvrir un monde de l’entrepreneuriat avec ses codes et son fonctionnement bien particulier, un oligopole où il y a très peu de perspectives de croissance, et qui est peuplé d’entrepreneur.se.s passionné.e.s en grande difficulté de vivre de leur métier.
Vibrer pour son projet
Morgane Stankiewiez est une femme pragmatique. Passionnée de lettres, elle a pourtant à la sortie de ses études, opté pour un BTS Commerce International qui lui offrirait plus de débouchés. Pendant 9 ans, Morgane a ensuite travaillé en tant que salariée dans le monde de l’export, la logistique à l’international. Mais quelques années seulement après la fin de ses études, l’ennui qu’elle éprouvait est devenu insupportable.
N’étant pas sélectionnée dans le plan de licenciement économique de son entreprise, elle décide de partir en congé sabbatique en Australie, persuadée qu’un autre plan aura lieu prochainement. Sur place, elle fait la connaissance d’un auteur de science-fiction amateur qui parvenait à faire éditer ses romans.
Secouée, et surtout persuadée de pouvoir elle aussi écrire et terminer un roman, elle se lance dans la rédaction de son premier roman à son retour d’Australie. Elle trouve un éditeur, publie un deuxième roman. La machine est lancée. En tant que passionnée, elle fait du bénévolat pour sa maison d’édition, ce qui lui permet de découvrir les rouages de ce monde si particulier. Elle prend notamment conscience des enjeux politiques auxquels sont confrontés les maisons d’édition indépendantes.
Prête à démissionner pour se consacrer à l’écriture, lorsqu’elle apprend qu’un nouveau plan de licenciement va avoir lieu. Elle saisit l’opportunité, et quitte son entreprise qui financera notamment une formation pour l’aider à se reconvertir.
Fonder sa maison d’édition
Au fil de ses oeuvres, Morgane a affiné son univers, imprégné d’un Paris romantique et décadent. Elle a également pris conscience qu’elle serait tout à fait capable de créer et commercialiser elle-même ses livres.
Elle se lance donc dans l’édition et crée en 2018 la maison d’édition Noir d’Absinthe. Pendant un an, elle a été suivie par un cabinet de reclassement et s’est formée auprès de la Société des Gens De Lettres en tant qu’autrice et éditrice sur et conseillée dans ses démarches entrepreneuriales par Pôle Emploi. Son conseiller était très dubitatif quant au business model proposé par Morgane. Mais, passionnée par son projet, sa place unique dans le monde de l’édition, et consciente qur Rome ne s’est pas faite en un jour, Morgane construit patiemment sa place.
Créer avec passion et authenticité
Fonder cette maison, c’était également pour Morgane sa manère d’affirmer son identité artistique, et quitter le monde normal et normé. A ses yeux, son entreprise sert son art et non l’inverse. Elle assume donc une ligne éditoriale très exigeante, pour sélectionner des ouvrages avec une plume littéraire, qui s’adressent à un marché de connaisseurs.
Débutant par des autopublications, elle développe ensuite son catalogue en publiant des auteurs qui partagent les valeurs de Noir d’Absinthe. Ces auteurs écrivent des oeuvres riches et surtout différentes, mêlant parfois plusieurs univers inattendus allant de l’historique, à la science-fiction en passant par les romans de cape et d’épée.
Morgane est à la fois curieuse et pragmatique. Aussi, elle souhaite tracer sa propre voie, pour éviter de reproduire des schémas qui ne fonctionnent pas. Elle s’inspire des nouveaux modèles d’éditions qu’elle découvre notamment auprès des auteurs en auto-édition et se lance dans l’impression à la demande qui lui permet d’imprimer uniquement le nombre d’exemplaires qu’elle commercialise.
Se faire connaître dans un monde saturé
Pour se rendre visible, Morgane participe à de nombreux salons littéraires. Elle communique également sur les réseaux sociaux entre ces différents événements. Attachant un soin tout particulier à la présence en ligne de Noir d’Absinthe, Morgane conserve ainsi une cohérence entre ses valeurs et l’image de sa maison d’édition.
Certains de ses ouvrages sont financés par des crowdfunding pour en assurer la viabilité économique. Ce soin apporté à la rentabilité des ouvrages publiés lui permet de tisser une relation étroite et de confiance avec ses auteurs et autrices.
Morgane a enfin ouvert son capital à des investisseurs proches et soutenants qui souhaitaient s’impliquer dans Noir d’Absinthe.
Se construire sans se précipiter
Pendant ses 5 ans d’existence, Morgane aura jour après jour construit la renommée de sa maison d’édition en garantissant une qualité littéraire élevée et en construisant une communauté de passionnés.
C’est aujourd’hui avec fierté qu’elle observe que le monde de l’édition la reconnait comme un acteur crédible et professionnel. Elle est invitée à participer à des tables rondes littéraires, à partager son parcours.
Entrepreneuriat & cyclicité
Consommant progressivement ses économies pour faire vivre sa maison et porter les auteurs et autrices qu’elle accompagne, Morgane a décidé de ralentir son activité pour Noir d’Absinthe pour valider son expérience en VAE. A la suite, elle souhaite réaliser un doctorat sur la poésie sapphique.
Cela lui permettra alors de proposer des formations et accompagnement pour les futurs auteurs. En pivotant ainsi, Morgane s’assure de garder son enthousiasme artistique tout en vivant de l’art de transmettre qui la fait vibrer.
Quand féminisme & écologie vont de pair
Elle considère en effet qu’il est inutile de chercher à croître à tout prix dans une logique capitaliste et revendique l’aspect cyclique que peut revêtir l’entrepreneuriat. Noir d’Absinthe entrera alors dans une phase de ralentissement pour lui permettre de se stabiliser et d’aller plus loin ultérieurement.
Son amour pour cette entreprise et la force de sa conviction lui ont permis d’arriver là où de nombreuses autres maisons cessent leur activité.